Les impasses vont croissantes dans notre civilisation façonnée par la globalisation et les logiques ségrégatives du néolibéralisme. Les uns contre les autres, chacun aujourd’hui proteste, s’affronte et se déchire pour défendre, dans la rivalité et la lutte à mort, ses valeurs et droits. De part et d’autre, la contestation gronde, les accusations pullulent et les revendications se multiplient. Dans le même mouvement, ces dernières années sont marquées par une hausse des litiges, saisines et requêtes, par une inflation des plaintes et recours en justice. Si cette expansion ne peut être interprétée en ce seul sens, elle laisse néanmoins supposer qu’un sentiment général de préjudice prévaut dans notre modernité et que, face à ce malaise, la quérulence processive tend, en réponse, à se généraliser. Le droit à jouir étant devenu démocratique, chacun semble être ainsi poussé à le revendiquer dans cette époque de l’Autre qui n’existe pas et qui, se débarrassant du Père, suscite la judiciarisation du lien social afin de répartir et distribuer la jouissance. Les incidences psychopathologiques qui en résultent appellent à être interrogées.
Non seulement parce que la névrose, plus particulièrement hystérique, revêt toujours davantage une forme accusatrice et revendicatrice à mesure où le statut de victime s’impose dans le discours social. Où, ce qui paraît désormais prévaloir pour les sujets, c’est moins, par la plainte, la question désirante, que la revendication de celle-ci à des fins de réparation de leur insatisfaction dans les divers procès en responsabilités qu’ils peuvent intenter contre les figures paternelles, la médecine, le monde professionnel.
Mais aussi parce que notre époque semble être devenue un terreau fertile favorisant l’essor, en les normalisant, des délires psychotiques de préjudice auxquels Lacan réservait une place particulière au champ de la paranoïa. Elle soutient la position subjective du paranoïaque revendicateur qui, dans la conviction, s’éprouve victime de l’Autre, visé par un complot scandaleux attentatoire à son image et ciblant sa perte en le dépossédant autant qu’elle participe de son recours à la loi, et de ses passages à l’acte justiciers, pour répondre de l’injustice fondamentale portant atteinte à sa jouissance et à sa haute représentation de lui-même.
Enfin, si nous sommes entrés dans l’ère de la quérulence généralisée et que nos contemporains sont devenus des fanatiques épris de justice, nous assistons également aujourd’hui à l’installation d’une méfiance généralisée où l’autre est toujours plus soupçonné autant qu’haï de jouir au dépens du sujet, de ce dont il manque en l’en dépossédant. Les ségrégations, les doctrines de la manipulation mentale, les théories du complot, etc., y puisent leur origine autant qu’elles la nourrissent. La paranoïsation imaginaire du lien social contemporain qui en dérive nécessite d’être interrogée autant que la prolifération des prétendus pères à laquelle elle donne lieu et qui se veulent, convaincus de posséder le critérium de la vérité morale, imposer un nouvel ordre social ,religieux, politique et judiciaire, afin de promulguer leurs programmes et régimes de jouissance.
Laissant une large place à la présentation clinique de cas, les travaux de cette Journée d’Étude issue du Séminaire de Recherche en psychopathologie clinique et criminologie psychanalytique «Les nouveaux fanatismes» questionneront des cliniques actuelles à l’étude de phénomènes contemporains: cliniques de la ségrégation, de la revendication et de la quérulence processive, délire paranoïaque de revendication et passages à l’acte justiciers, clinique des «hystériques accusatrices », idéalisme passionné et réformateurs sociaux, extrémismes religieux, politiques, scientisme, théories du complot, etc. S’adressant aux professionnels, chercheurs et étudiants, cette Journée d’Étude mettra ainsi au travail des questions cliniques, sociales et politiques qui possèdent une actualité indéniable dans les milieux sanitaire, socio-éducatif, judiciaire et pénitentiaire.
Romuald Hamon